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Souvenir de la douleur chez le cheval.

La reconnaissance et l’évaluation (voire quantification) de la douleur ne sont pas toujours évidentes chez le cheval, par ignorance souvent mais aussi par erreur, nombreux acteurs du monde équestre (particuliers mais aussi professionnels) ne sont pas à même de détecter la plupart des douleurs chroniques, ni parfois certaines douleurs aiguës (ou ponctuelles). L’une et l’autre se traduisent souvent par une modification (relativement importante) des mimiques ou du comportement, et ce, parfois à long terme.

La douleur animale a été définie comme « expérience sensorielle aversive qui élicite une action motrice protectrice occasionnant un apprentissage de comportement d’évitement et de fuite et qui peut modifer des traits comportementaux spécifques d’espèces englobant les comportements sociaux » (Zimmerman, 1984).

« Les stimulus « nociceptifs » (du latin nocere : nuire) [terme introduit par Sherrington] ont en commun de menacer l’intégrité du corps et d’activer un ensemble d’organes sensoriels, les « nocicepteurs ». Ces stimulus déclenchent un répertoire varié, mais limité, de réponses réflexes et comportementales qui sont généralement associées à la perception d’une douleur. » (J.L Guichet)

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Rappelons rapidement que le cheval est un animal de fuite, il n’est pas un prédateur, mais plutôt une proie dans la nature (bien qu’aujourd’hui la quasi-totalité des chevaux ait été domestiquée, on ne peut pas modifier sa nature). C’est un animal, qui, pour survivre, doit d’une part taire ses douleurs (on sait tous ce qui arrive au petit cheval boiteux qui peine à suivre son troupeau), et d’une autre part apprendre de ses expériences pour anticiper et gérer les situations (et éviter de refaire une seconde fois la même erreur… contrairement, par exemple, au chien, ou à d’autres animaux.) Voilà des fonctionnements ancrés dans l’espèce.

Dans notre monde équestre, nous procurons à nos chevaux des MILLIARDS de possibilités de se faire mal. Ça peut aller de la dorsalgie causée par une selle inadaptée à l’engorgement voire l’arthrose causés par une trop grande inactivité au box, en passant par le blocage de l’ATM ou des cervicales dues à une main trop dure, un enrênement inadéquat, des maux de tête à cause d’un occiput enfoncé après avoir tiré au renard, des tendinites causées par la ferrure, des maux de ventre dus à une mauvaise gestion de la population parasitaire ou de l’alimentation, des lombalgies suite à un coup de froid, des douleurs de pied suite à un mauvais parage… et, si l’on veut, des douleurs qu’on peut dire d’origine « affectives », ou émotionnelles, causées par un stress quel qu’il soit. Tant et tant de choses, qui parfois exprimées, d’autres fois réprimées, peuvent être identifiées et décelées par un humain attentif.

Zimmerman précise que la douleur est « une expérience sensorielle aversive déclenchée par une atteinte réelle ou potentielle qui provoque des réactions motrices et végétatives protectrices, conduit à l’apprentissage d’un comportement d’évitement et peut modifier le comportement spécifique de l’espèce, y compris le comportement social ».

Qu’est ce que l’on peut comprendre?
Que les chevaux apprennent très vite.
Que les sources de douleurs sont multiples dans notre environnement,
Que dans 70% des cas elles sont répétées (on repense à cette selle ou cet enrênement que l’on réutilise tous les jours).
Que chaque douleur ou stimulus aversif engendre un comportement de fuite, ou de défense.
Que des mécanismes physiologiques se mettent donc rapidement en place.
Que c’est comme ça que le cheval survit.
Que c’est ancré en lui.

L’étude du fonctionnement du cerveau (et du corps) du cheval est passionnante mais aussi extrêmement complexe. Il reste important d’en connaître « les bases ».
J’utilise volontairement le terme « survie » bien qu’il puisse paraître extrême. Nous connaissons tous, amis des équidés leur capacité à nepasréfléchirmaislutter/fuire/lutter/fuire à tout prix… quand certaines situations nous paraissent presque banales (ex: le cheval tire au renard), elles peuvent revêtir un caractère traumatisant pour le cheval. Pendant que je vois Poney tirer comme un couillon, presque assis, sur cette pauvre barre d’attache – lui se voit potentiellement en train de mourir. (COMMENT CA LES CHEVAUX N’ONT PAS DE RECUL???)

Chez le cheval, des schémas se construisent rapidement (c’est d’ailleurs sur ça que se base l’équitation dite éthologique ou comportementale) quand il s’agit de fuire un inconfort.
C’est aussi de cette manière que les chevaux fonctionnement par associations. On peut prendre l’exemple tout bête du van, un trajet se passe mal (du moins est mal vécu par le cheval), à cause d’une route sinueuse, des conditions météo compliquées… et du jour au lendemain le cheval ne veut plus monter dans le van.
Quand en plus, la source de l’inconfort pour le cheval est répétée, les schémas de réponse s’ancrent profondément. Prenons un exemple type.

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Le cheval qui mord au sanglage
Tous les jours, je vais chercher mon cheval au pré → je l’attache à l’aire de pansage → je le panse → je le selle avec une selle qui est inadaptée (mais je ne le sais pas) → je l’emmène en carrière → je le re-sangle → je le monte.
De toute évidence, ma selle va provoquer des douleurs, ou ne serais-ce qu’un inconfort (voire des complications)… mon cheval va parfois se défendre au travail (oreilles plaquées, coup de cul, refus de réaliser un exercice…), et je vais pouvoir observer ce comportement qui va devenir systématique : mon cheval couche les oreilles, tourne la tête, fait mine de me mordre au(x) sanglage(s).
Mais, imaginons, suite à des recherches et une prise de conscience, je contacte et fais intervenir une ostéopathe, un saddle-fitter, j’achète une selle adaptée et « fittée », je mets en place une rééducation à la longe après un moment de repos.
Et puis je décide de me remettre à cheval.
J
e vais chercher mon cheval au pré → je l’attache à l’aire de pansage → je le panse → je le selle avec sa nouvelle selle adaptée sur son dos tout neuf… et là, il plaque les oreilles et fait mine de me mordre.

POURQUOI ?
Parce que des schémas et associations d’idées se sont mis en place.
Parce que le cheval se souvient.
Parce que toutes ces petites actions parfois inconscientes constituent la base du schéma de stress.

Le chemin du pré à la barre d’attache + le fait d’être attaché toujours à la même place + d’être sellé après le pansage + d’être amené à la carrière + d’être re-sanglé avant d’être monté…

Le cheval va pouvoir appréhender dès son arrivée à la barre de pansage. Alors il ne s’agit plus d’un problème de douleur, mais de peur.

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C’est comme le cheval qui, des années durant, a souffert de douleurs cervicales, et qui, malgré le travail effectué par les professionnels, est toujours réticent à se laisser toucher la tête.

Il faut ré-apprendre au cheval. Briser le schéma. Le reconstruire autrement.
Créer de nouvelles associations d’idées.

Il faut ramener l’idée de confort pour le cheval. Réunir toutes les conditions pour que l’expérience devienne agréable, et que toutes les peurs, anciennes et ancrées, se diluent et finissent par disparaître. – EVIDEMMENT, LORSQUE LES DOULEURS ET CAUSES DES DOULEURS ONT ETE CORRECTEMENT TRAITÉES ET REGLEES –

Pour notre cheval qui mord au sanglage, il va s’agir peut-être de le préparer ailleurs, de le seller sans l’avoir préalablement pansé comme d’habitude, de le gratouiller sur une zone sensible pendant le sanglage, de lui proposer un brouting après sanglage, voire de le dé-seller et le rentrer au pré… simplement de bousculer les habitudes. 

Le souci lorsque le problème n’est que partiellement traité (on traite la douleur, mais pas le schéma de peur), c’est qu’on tombe vite dans un engrenage et que les inconforts physiques réapparaissent, causés cette fois-ci par les réactions de crainte d’avoir mal. Cercle vicieux. C’est pourquoi tout travail sur le PHYSIQUE doit passer aussi par le « PSYCHIQUE ».
Après des mois, des années, de répétitions schémas dus à la présence d’une douleur, les tissus s’adaptent et se modèlent par rapport à la posture adoptée par le cheval (comme le cheval qui, à force de dorsalgies, se creuse le dos… ou celui qui, à force de protéger sa tête/sa nuque et de garder la tête en l’air, se creuse l’encolure et se crée « le col de cygne »)… voilà pourquoi le travail sur les tissus mous notamment, peut s’avérer long, et demande de la patience et de l’investissement. Le travail sur le système nerveux est indissociable de celui sur le corps.

On peut donc réaliser que, chez nombre de chevaux traités, la disparition des manifestations de la douleur (du moins de leur souvenir) doit passer par une rééducation du système nerveux, une modification des mécanismes de réponses ancrés.

Il est très intéressant de pouvoir observer le fonctionnement des chevaux, parfois complexe, mais toujours passionnant. Souvent difficile, dans nos conceptions d’humains, de réaliser que nos chevaux ne font pas des caprices, ne nous testent pas, mais expriment réellement des peurs, des douleurs, qui à long terme, peuvent devenir un vrai handicap (pour l’équidé et son cavalier) au quotidien. Et qui viennent même à modifier le comportement général et la posture du cheval.
On peut observer, sur certains chevaux, des changements et évolutions physiques  (et psycho) impressionnants, dus « simplement » à un travail sur le corps et le système nerveux, permettant au cheval de se ré-approprier ses sensations et de créer de nouveaux schémas de fonctionnement.

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Sources : 

https://books.google.fr/books?id=3KikNqmjJz0C&pg=PA22&lpg=PA22&dq=zimmerman+definition+douleur&source=bl&ots=VfGmztP6PK&sig=GgDip3dMwvmAlWnHJvuXZifKsM8&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjKvoqiibnYAhXMfFAKHZ-fBfIQ6AEISzAG#v=onepage&q=zimmerman%20definition%20douleur&f=false

http://www.haras-nationaux.fr/information/accueil-equipaedia/comportement-ethologie-bien-etre/cheval-et-vie-domestique/la-douleur-chez-les-equides.html

https://comportementbienetreifce.wordpress.com/2016/12/22/methodes-devaluation-de-la-douleur-chez-les-equides/

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