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Techniques manuelles, soins de confort : un luxe réservé aux privilégiés ?

Je pense avoir entendu des centaines de fois des questions ou affirmations du genre, « mais, ta clientèle est plutôt très aisée, non? », « les services que tu proposes sont un luxe, finalement? », ou bien encore « non mais, tout le monde ne peut pas se l’offrir ! », « ce doit être réservé aux professionnels ».

Quand j’ai commencé, d’ailleurs, j’ai pratiqué des tarifs bas, très bas, dénigrants envers mon travail même, parce que je tenais à ce que ce soit accessible. Je ne voulais pas que ce soit réservé à l’élite. Bon, s’en sont suivies moultes années et réflexions qui m’ont menée à ajuster mes tarifs pour qu’ils soient justes (et aussi pour qu’accessoirement je puisse manger, payer mes factures, et me faire plaisir) et etc. Parce que je me suis souvenue aussi, que moi, à l’époque, étudiante boursière, avec deux chevaux à charge, je préférais manger des pâtes plutôt que négliger le bien-être de mes chevaux; je ne choisissais pas un professionnel parce qu’il était le moins cher, mais parce qu’il était le meilleur, le plus en accord avec mes valeurs… bref.

Qu’on soit du milieu ou pas du tout, il est légitime de se demander si en effet, le recours aux techniques manuelles, aux « soins de confort », de bien-être, type shiatsu, massage, bodywork, ne sont-elles pas un luxe, une commodité réservée aux plus riches.

Photo par Alice Chapuis.

De prime abord, tout nous laisserait à penser que si, en effet.
Les techniques manuelles sont considérées comme « médecines alternatives, non conventionnelles », apport de confort, pratique visant au bien-être, à l’amélioration des performances. Rien d’indispensable, quoi. Mais du bonus. Du bonus que pourraient vouloir s’offrir les professionnels, cavaliers de haut niveau, ou amateurs très aisés, dans leurs écuries luxueuses, pour leurs chevaux valant des sommes astronomiques, à 5, 6 ou 7 chiffres, parés de matériel dernier cri, dans toutes leurs déclinaisons de couleurs…
Alors que les particuliers, parfois plus modestes, passant déjà 50% de leurs revenus entre pension, maréchal, vétérinaire, dentiste, matériel, devraient avoir bien plus de mal à investir davantage dans le bien-être de leurs chevaux, d’autant plus qu’ils n’en tirent aucun profit (entendre par là profit financier).

Que nenni.
Détrompez-vous.
Mon expérience m’a prouvé tout l’inverse. La ‘valeur’ financière d’un cheval (et sa rentabilité) n’ont RIEN À VOIR avec l’investissement que son propriétaire est prêt à faire pour lui. Parce que comme dit, il s’agit d’un INVESTISSEMENT. Un investissement financier, oui, mais aussi émotionnel, un investissement de temps, d’énergie… c’est ça, prendre soin de son cheval. Et ça, ça n’a aucun rapport avec des questions d’épaisseur ou de contenu du porte monnaie.
Bon enfin, bien sûr, on a pas tous les moyens de payer 1 séance de techniques manuelles par jour à nos chevaux, et tant mieux parce que franchement, ça n’aurait aucun sens.
Je vous vois déjà râler parce que « non mais dans quel monde elle vit celle là, je me serre la ceinture tous les mois pour manger, je suis incapable de payer des soins complémentaires à mon cheval »… Mais c’est peut-être là que se pose la question de la responsabilité d’avoir des chevaux et de notre engagement auprès d’eux quand on devient leur propriétaire. On ne prend pas un cheval si on est incapable de répondre à ses besoins, non?

Plus concrètement, aujourd’hui, pourquoi fait-on appel à des professionnels du bien-être?
Pour pallier les contraintes que nous imposons à nos chevaux. Pour résoudre les problèmes que nous (entendre par là l’Humain, à tous les niveaux) leur avons causés.
Mais attention, ça n’est pas nécessairement mal, ou négatif. C’est le deal. On dénature, on préserve aussi, et inévitablement, on modifie l’équilibre. A plus ou moins grande échelle. Donc on compense.
La légende voudrait qu’on fasse appel à des professionnels du bien-être de manière systématique, dès la naissance, dans un objectif de prévention, d’entretien, afin d’éviter les déséquilibres.
La réalité c’est que la grande majorité des prises en charge commencent lors d’une problématique, d’une pathologie, d’un déséquilibre.
Et c’est normal.
Il est extrêmement difficile de prendre conscience de l’impact d’un déséquilibre (quel qu’il soit) sur nos chevaux, avant de l’avoir expérimenté. Et donc, de se préoccuper de l’aspect préventif. On nourrit mal nos chevaux chaque jour en justifiant que « mais non, le mien il supporte très bien » jusqu’à ce qu’il fasse une colique et qu’on découvre des ulcères stade 4 dans l’estomac. On laisse nos chevaux férrés/chaussés/parés de façon approximative parce que « ça leur va bien » jusqu’à ce qu’ils pètent d’une tendinite. On les change de pension et d’environnement pour un oui ou pour un non, en se vantant qu’ils ont « une capacité d’adaptation exceptionnelle » jusqu’à ce qu’ils s’effondrent émotionnellement, ou tombent en dépression. On les laisse s’engraisser d’année en année dans des pâtures à vaches jusqu’à ce qu’ils se couchent de fourbure. On les fais vivre dans des écuries sales, ammoniaquées ou chaque jour les palefreniers passent le souffleur jusqu’à ce qu’ils toussent ou deviennent emphysémateux. etcetera, etcetera.
Et là ben voilà, plus le choix. On appelle le véto, l’ostéo, le shiatsu, le masseur, le podo…
Et ça, on le leur doit.
Enfin c’est ce que je crois.

A travers ces quelques lignes, je ne souhaite culpabiliser personne parce que moi aussi, je suis humaine, propriétaire, moi aussi j’ai déjà choisi d’acheter un énième nouveau tapis alors que j’aurai pu offrir un soin de confort à mes chevaux, moi aussi j’ai déjà laissé trainer des trucs jusqu’à regretter de pas m’en être préoccupé.
Mais je tâche chaque jour de remplir mon devoir, mon engagement auprès de mes chevaux, qui est de leur offrir des conditions de vie, de détention, et de soins optimaux, cohérents avec les contraintes que je leur impose et les objectifs que j’ai avec eux.

Mais je souhaite proposer une réflexion sur cette notion de luxe, d’extra, de bonus.
J’ai toujours pensé « l’équitation n’est pas un sport de riches, c’est un sport de passionnés ». Et avoir des chevaux, c’est vraisemblablement être un peu taré, à mi-chemin entre entre l’égoïsme et la générosité, mais c’est aussi précisément ça : être passionné. Être dévoué.
Soigner son cheval (comprendre au sens large : prendre soin de) n’est pas un luxe. C’est un devoir. L’équiper intégralement par couleur et par jour de la semaine, ça c’est un luxe.

Je voudrais vous féliciter, vous remercier, vous, propriétaires, demi-pensionnaires parfois, que je
croise chaque jour dans mon travail, je voudrais vous féliciter pour l’investissement dont vous faites preuve dans le bien-être de vos chevaux, pour vous sacrifier parfois, vous creuser la tête aussi, pour vous démener pour leur offrir le meilleur. Parfois au détriment de votre propre confort. Vous êtes des gens formidables. Vous méritez vos chevaux et l’amour qu’ils vous donnent.

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